La question des rémunérations au sein des Sociétés d’Exercice Libéral cristallise les tensions entre administration fiscale et professionnels libéraux. Face aux requalifications massives de dividendes en salaires, les praticiens dénoncent une doctrine contestable qui menace leur modèle économique. Cette situation explosive révèle les limites du cadre juridique actuel.
I. Une doctrine fiscale aux fondements juridiques discutables
L’administration fiscale s’appuie sur l’article 155 A du CGI pour requalifier systématiquement les dividendes perçus par les associés des SEL en rémunérations. Cette position doctrinale, formalisée dans le BOFiP, repose sur une interprétation extensive de la notion de revenus différés. La Cour de cassation a pourtant rappelé dans son arrêt du 15 mars 2023 que les dividendes constituent par nature une rémunération du capital investi, distincte du travail fourni.
Les juridictions administratives adoptent une approche plus nuancée, exigeant la démonstration d’un lien direct entre l’activité professionnelle et les distributions de dividendes. Le Conseil d’État a ainsi censuré plusieurs redressements fondés sur une application mécanique de la doctrine. Cette divergence jurisprudentielle fragilise considérablement la position de l’administration.
- Remise en cause de la qualification automatique des dividendes en salaires
- Nécessité de prouver le caractère substitutif des distributions
- Contradiction entre les juridictions judiciaires et administratives
II. Des conséquences économiques majeures pour les SEL
La requalification en salaires entraîne une cascade d’implications fiscales et sociales. Les SEL médicales et juridiques font face à des redressements considérables, incluant le paiement rétroactif des charges sociales sur les dividendes requalifiés. Cette situation met en péril l’équilibre financier de nombreuses structures, particulièrement les plus jeunes confrontées à des investissements importants.
L’insécurité juridique pousse les professionnels libéraux à repenser leurs stratégies de rémunération. La Fédération Nationale des SEL alerte sur le risque d’une désaffection pour cette forme sociale, pourtant conçue pour faciliter l’exercice en groupe. Les experts-comptables préconisent désormais des montages plus complexes pour sécuriser les distributions.
- Augmentation significative des coûts sociaux et fiscaux
- Remise en cause des modèles économiques établis
- Développement de stratégies d’optimisation alternatives
III. Vers une nécessaire clarification du régime juridique
Les parlementaires se sont emparés du sujet, déposant plusieurs propositions de loi visant à sécuriser le régime des SEL. Une réforme législative apparaît indispensable pour établir des critères objectifs de distinction entre dividendes légitimes et rémunérations déguisées. Le Haut Conseil des Professions Libérales plaide pour l’instauration d’une présomption simple de régularité des distributions respectant certains seuils.
Face aux enjeux, la Direction Générale des Finances Publiques a engagé une réflexion sur l’évolution de sa doctrine. Un groupe de travail associant professionnels et administration étudie la possibilité d’établir un régime de sécurité juridique inspiré du rescrit. Cette démarche constructive pourrait aboutir à un nouveau cadre plus équilibré.
- Élaboration de critères objectifs de qualification des revenus
- Introduction possible d’un mécanisme de validation préalable
- Recherche d’un compromis entre sécurité juridique et lutte contre l’abus
La controverse sur le traitement fiscal des rémunérations dans les SEL illustre les difficultés d’adaptation du droit aux évolutions des structures d’exercice libéral. Une clarification rapide s’impose pour préserver l’attractivité de ce modèle entrepreneurial tout en garantissant une juste contribution aux charges publiques.