La Filiation Établie Post-Mortem : Enjeux et Perspectives de la Contestation Tardive

La filiation établie après le décès d’un parent soulève des questions juridiques complexes, particulièrement lorsque sa contestation intervient plusieurs années après l’établissement du lien. Cette situation, qui met en tension droits fondamentaux, sécurité juridique et vérité biologique, constitue un véritable défi pour les tribunaux français. Entre le droit de connaître ses origines et la stabilité des situations juridiques établies, le législateur et la jurisprudence ont progressivement élaboré un cadre normatif qui tente d’équilibrer ces intérêts contradictoires. Les récentes évolutions législatives et jurisprudentielles témoignent d’une approche nuancée face à ces contestations tardives, dont les implications dépassent le simple cadre juridique pour affecter profondément l’identité des personnes concernées.

Fondements juridiques de la filiation post-mortem et délais de contestation

La filiation post-mortem s’inscrit dans un cadre juridique français strictement encadré par le Code civil. L’article 311-8 du Code civil prévoit explicitement que la filiation peut être établie après le décès du parent présumé. Cette disposition, qui reconnaît la possibilité d’une filiation posthume, ouvre la voie à des situations où le lien juridique parent-enfant se cristallise alors que l’un des protagonistes n’est plus là pour consentir ou contester.

Concernant les délais de contestation, le législateur a instauré un régime différencié selon la nature de la filiation. Pour la filiation maternelle, la loi du 4 juillet 2005 a maintenu un délai de prescription de dix ans, tandis que pour la filiation paternelle dans le cadre du mariage, l’article 333 du Code civil fixe un délai de cinq ans à compter du jour où le père ou la mère a cessé d’élever l’enfant, ou à compter du jour où l’enfant a commencé à être élevé par celui qui se prétend le parent biologique.

La réforme de 2009 a apporté une modification substantielle en introduisant un point de départ flottant pour la prescription : le délai commence à courir à partir du jour où la personne a été privée de l’état qu’elle réclame, ou a commencé à jouir de l’état qui lui est contesté. Cette disposition, codifiée à l’article 321 du Code civil, témoigne d’une volonté d’adaptation aux réalités des situations familiales complexes.

La jurisprudence de la Cour de cassation a précisé l’application de ces délais dans le contexte post-mortem. Dans un arrêt remarqué du 6 mars 2013, la première chambre civile a considéré que le délai de prescription ne pouvait commencer à courir contre un enfant qu’à partir du moment où il avait connaissance de faits permettant de remettre en cause sa filiation établie. Cette interprétation protectrice des droits de l’enfant a été confirmée par plusieurs décisions ultérieures.

Dans le cadre spécifique de la contestation tardive d’une filiation établie post-mortem, la question de la preuve revêt une importance capitale. L’article 310-3 du Code civil dispose que la filiation se prouve par l’acte de naissance, par la possession d’état ou par l’effet d’une présomption légale. La difficulté majeure réside dans l’impossibilité de recueillir le témoignage du défunt, rendant l’administration de la preuve particulièrement délicate.

  • Délai de droit commun : 10 ans (article 321 du Code civil)
  • Délais spéciaux pour la contestation de paternité : 5 ans (article 333)
  • Point de départ du délai : connaissance effective des faits permettant la contestation
  • Moyens de preuve : expertise génétique posthume possible sous conditions strictes

La Cour européenne des droits de l’homme a exercé une influence déterminante sur l’évolution du droit français en matière de contestation tardive de filiation. Dans l’arrêt Pascaud c. France du 16 juin 2011, elle a reconnu que le droit de connaître ses origines constituait un aspect fondamental de l’identité personnelle protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

L’expertise génétique posthume : conditions et limites

L’expertise génétique posthume constitue l’un des enjeux majeurs dans les affaires de contestation tardive de filiation établie après le décès. Le Code civil français, dans son article 16-11, encadre strictement cette pratique en disposant que l’identification d’une personne par ses empreintes génétiques ne peut être recherchée qu’en exécution d’une mesure d’instruction ordonnée par le juge saisi d’une action en matière familiale, ou à des fins médicales ou de recherche scientifique.

La jurisprudence a progressivement précisé les conditions dans lesquelles une expertise génétique post-mortem peut être ordonnée. L’arrêt fondateur de la première chambre civile de la Cour de cassation du 2 juin 2005 a posé le principe selon lequel l’expertise génétique est de droit en matière de filiation, sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder. Cette position a été nuancée dans le contexte post-mortem par l’arrêt du 30 septembre 2009, qui a reconnu que le respect dû au corps humain pouvait constituer un motif légitime de refus.

La question du consentement du défunt s’avère particulièrement épineuse. La loi bioéthique du 6 août 2004, modifiée en 2011 puis en 2021, exige en principe le consentement exprès de la personne de son vivant pour procéder à une identification par empreintes génétiques après sa mort. Toutefois, la jurisprudence a développé une approche pragmatique face à l’absence fréquente de consentement explicite.

Dans un arrêt notable du 13 juillet 2016, la Cour de cassation a considéré que l’absence de consentement exprès du défunt ne constituait pas nécessairement un obstacle insurmontable à l’expertise génétique posthume. Les juges ont estimé que le juge devait mettre en balance les intérêts en présence : d’une part, le droit de l’enfant à connaître ses origines et, d’autre part, le respect dû au corps du défunt et à sa volonté présumée.

Les modalités pratiques de l’expertise génétique posthume soulèvent des difficultés techniques considérables. Plusieurs options s’offrent aux tribunaux :

  • Exhumation du corps pour prélèvement (mesure exceptionnelle soumise à autorisation judiciaire)
  • Utilisation d’échantillons biologiques conservés (hospitaliers ou médico-légaux)
  • Recours à des indices génétiques indirects (tests sur des parents proches du défunt)

La loi de bioéthique du 2 août 2021 a renforcé l’encadrement de ces pratiques en consacrant explicitement le principe de finalité : l’expertise génétique ne peut être ordonnée que si elle est nécessaire à la résolution du litige relatif à la filiation et proportionnée à l’objectif poursuivi.

Les limites à l’expertise génétique posthume demeurent substantielles. Outre les obstacles techniques, les juges peuvent invoquer le respect de la vie privée du défunt, la sécurité juridique des situations établies ou encore l’intérêt supérieur d’autres personnes concernées, notamment les autres enfants du défunt. La prescription constitue une limite supplémentaire, bien que son application ait été assouplie par la jurisprudence récente, notamment lorsque la connaissance des faits permettant la contestation est tardive.

Le cas particulier des personnalités publiques

Les contestations de filiation impliquant des personnalités publiques illustrent avec acuité les tensions entre droit à la vie privée et droit à la vérité biologique. L’affaire Yves Montand, qui a défrayé la chronique judiciaire dans les années 1990, a constitué un précédent marquant avec l’exhumation du corps de l’artiste pour expertise ADN, finalement négative. Plus récemment, le cas Albert Uderzo a rappelé la sensibilité de ces questions lorsqu’elles touchent à l’héritage culturel et patrimonial.

L’équilibre entre vérité biologique et sécurité juridique

La tension entre la recherche de la vérité biologique et le maintien de la sécurité juridique constitue l’un des dilemmes fondamentaux dans les affaires de contestation tardive de filiation post-mortem. Le droit français contemporain tente d’établir un équilibre délicat entre ces deux impératifs parfois contradictoires.

Historiquement, le Code civil napoléonien privilégiait nettement la stabilité des situations juridiques, illustrée par l’adage « mater semper certa est » et la présomption de paternité « pater is est quem nuptiae demonstrant ». Cette approche traditionnelle reflétait une conception de la famille fondée sur le mariage et la légitimité. L’évolution sociétale et juridique a progressivement fait émerger une valorisation croissante de la vérité biologique.

La réforme de 2005 sur la filiation a marqué un tournant significatif en unifiant largement le régime juridique des enfants, quelle que soit leur filiation, et en facilitant les actions relatives à la filiation. Cette réforme a toutefois maintenu des délais de prescription, témoignant du souci persistant de préserver une certaine stabilité des liens familiaux juridiquement établis.

La jurisprudence de la Cour de cassation illustre cette recherche d’équilibre. Dans un arrêt du 16 juin 2011, la première chambre civile a affirmé que « le principe de la sécurité juridique, qui s’attache aux actes de l’état civil, ne saurait faire obstacle à la reconnaissance de la vérité biologique lorsque l’action est exercée dans les délais légaux ». Cette formulation nuancée reconnaît la primauté relative de la vérité biologique tout en la conditionnant au respect des délais de prescription.

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Dans le contexte spécifique des contestations tardives post-mortem, plusieurs facteurs sont pris en compte par les tribunaux pour déterminer l’équilibre adéquat :

  • La durée écoulée depuis l’établissement de la filiation
  • L’existence ou non d’une possession d’état conforme au titre
  • Les circonstances de la découverte tardive permettant la contestation
  • Les conséquences patrimoniales et extrapatrimoniales de la remise en cause du lien

L’influence du droit européen a été déterminante dans cette évolution jurisprudentielle. La Cour européenne des droits de l’homme, dans plusieurs arrêts contre la France (notamment Pascaud c. France du 16 juin 2011 et Mennesson c. France du 26 juin 2014), a souligné l’importance du droit à l’identité, composante essentielle du droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention.

Les juges français doivent désormais intégrer cette dimension européenne dans leur raisonnement. Un arrêt remarqué de la Cour de cassation du 13 février 2019 a ainsi considéré que l’application stricte des règles de prescription pouvait, dans certaines circonstances exceptionnelles, constituer une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée lorsqu’elle empêchait totalement un individu d’établir sa filiation biologique.

Cette évolution jurisprudentielle ne signifie pas pour autant un abandon complet de l’exigence de sécurité juridique. La possession d’état, définie par l’article 311-1 du Code civil comme un ensemble de faits révélant le lien de filiation (tractatus, fama, nomen), demeure un élément central dans l’appréciation des juges. Une possession d’état constante pendant plusieurs années après l’établissement post-mortem de la filiation peut ainsi constituer un obstacle à sa remise en cause tardive.

La doctrine juridique contemporaine souligne la nécessité d’une approche contextuelle et proportionnée. Le Professeur Jean Hauser observe que « la vérité biologique ne saurait être érigée en absolu sans considération pour les réalités affectives, sociales et juridiques qui fondent aussi la filiation ». Cette position nuancée reflète la complexité des situations humaines sous-jacentes aux contestations tardives de filiation post-mortem.

Les implications successorales des contestations tardives

Les contestations tardives de filiations établies post-mortem engendrent des conséquences patrimoniales considérables, particulièrement en matière successorale. L’enjeu financier constitue souvent la motivation sous-jacente de ces actions, qu’il s’agisse d’intégrer une succession déjà liquidée ou de participer à une indivision successorale en cours.

Le Code civil français établit un lien direct entre la filiation et les droits successoraux. L’article 731 dispose clairement que « la succession est dévolue par la loi aux parents du défunt », tandis que l’article 734 précise que « en l’absence de conjoint successible, les parents sont appelés à succéder ainsi qu’il suit : 1° Les enfants et leurs descendants ; 2° Les père et mère ; les frères et sœurs et les descendants de ces derniers ». Ce cadre juridique place les enfants au premier rang des héritiers, justifiant l’intérêt patrimonial majeur des actions en contestation de filiation.

Lorsqu’une filiation est remise en cause avec succès plusieurs années après l’ouverture d’une succession, la question de la prescription des actions en pétition d’hérédité se pose avec acuité. L’article 780 du Code civil fixe un délai de prescription de droit commun de dix ans pour l’action en pétition d’hérédité. Toutefois, la jurisprudence considère généralement que ce délai ne commence à courir qu’à partir du jour où la filiation est définitivement établie, ce qui peut intervenir très tardivement dans les cas de contestation post-mortem.

Dans un arrêt significatif du 12 juin 2013, la première chambre civile de la Cour de cassation a précisé que « l’action en pétition d’hérédité exercée par celui dont la filiation n’a été établie que postérieurement à l’ouverture de la succession n’est pas soumise à la prescription de droit commun mais à la prescription trentenaire prévue par l’ancien article 2262 du Code civil ». Cette solution favorable aux enfants dont la filiation est tardivement établie a été nuancée par la réforme de la prescription de 2008, qui a réduit le délai trentenaire à vingt ans.

L’articulation entre les différents délais de prescription soulève des difficultés pratiques considérables :

  • Prescription de l’action en contestation de filiation : 10 ans en principe
  • Prescription de l’action en établissement de la véritable filiation : 10 ans également
  • Prescription de l’action en pétition d’hérédité : 10 ans à compter de l’établissement définitif de la filiation

Les effets rétroactifs de l’annulation d’une filiation posent des problèmes complexes de restitution. La jurisprudence a dû élaborer des solutions équilibrées pour concilier les droits du nouvel héritier avec la sécurité juridique des transactions déjà effectuées. L’arrêt de la première chambre civile du 3 novembre 2004 a établi le principe selon lequel les actes de disposition consentis par les héritiers apparents restent valables à l’égard des tiers de bonne foi.

Les conventions de partage antérieures à la contestation de filiation soulèvent des difficultés spécifiques. L’article 887 du Code civil prévoit que « le partage peut être annulé pour cause de violence ou de dol ». La jurisprudence considère généralement que l’ignorance de l’existence d’un héritier au moment du partage constitue une erreur substantielle justifiant la remise en cause du partage, sous réserve des délais de prescription.

La réserve héréditaire, institution fondamentale du droit successoral français, représente un enjeu majeur dans ces contestations. L’article 912 du Code civil définit la réserve comme « la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s’ils sont appelés à la succession et s’ils l’acceptent ». L’enfant dont la filiation est tardivement établie peut ainsi revendiquer sa part réservataire, entraînant potentiellement la réduction des libéralités consenties par le défunt.

Les aspects fiscaux ne doivent pas être négligés. L’établissement tardif d’une filiation peut ouvrir droit à une révision de l’imposition successorale, avec des conséquences potentiellement avantageuses pour le nouvel héritier qui bénéficiera du tarif en ligne directe et de l’abattement correspondant. L’article L.180 du Livre des procédures fiscales prévoit un délai de reprise de six ans en matière successorale, mais la jurisprudence administrative admet une dérogation lorsque l’héritier n’a pu agir plus tôt en raison de l’établissement tardif de sa filiation.

La protection des héritiers apparents

Face aux bouleversements potentiels engendrés par ces contestations tardives, le législateur et la jurisprudence ont progressivement élaboré des mécanismes de protection des héritiers apparents. L’article 730-3 du Code civil, issu de la loi du 3 décembre 2001, instaure une présomption selon laquelle « le possesseur de biens héréditaires est réputé avoir succédé seul et immédiatement à tous les effets compris dans sa part ». Cette disposition renforce la sécurité juridique des situations successorales établies de longue date.

Perspectives d’évolution et approche comparative

Le droit français de la filiation, particulièrement dans sa dimension post-mortem, connaît une évolution constante qui reflète les transformations profondes de la société contemporaine. L’examen des tendances actuelles et la comparaison avec les systèmes juridiques étrangers permettent d’entrevoir les perspectives d’évolution de cette matière sensible.

La multiplication des techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP) soulève des questions inédites concernant la filiation post-mortem. Si le Code de la santé publique français interdit formellement l’insémination et le transfert d’embryons post-mortem (article L. 2141-2), certains pays européens les autorisent sous conditions. Cette disparité législative engendre des situations transfrontalières complexes, notamment lorsqu’une femme française recourt à ces pratiques à l’étranger et cherche ensuite à faire établir la filiation paternelle en France.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 31 mai 2019, a adopté une position nuancée en admettant la transcription à l’état civil français de la filiation paternelle d’un enfant conçu par insémination post-mortem réalisée légalement en Espagne. Cette décision, fondée sur l’intérêt supérieur de l’enfant et le respect de son identité, illustre l’évolution progressive de la jurisprudence vers une prise en compte des réalités biologiques et sociologiques contemporaines.

L’approche comparative révèle des différences significatives dans le traitement juridique des contestations tardives de filiation post-mortem :

  • Le système allemand privilégie nettement la vérité biologique, avec des délais de contestation étendus et peu d’obstacles à l’expertise génétique posthume
  • Le droit anglais adopte une approche pragmatique fondée sur l’intérêt de l’enfant, avec un pouvoir d’appréciation considérable laissé aux juges
  • Le système italien maintient des restrictions importantes aux contestations tardives, reflétant l’attachement aux valeurs familiales traditionnelles
  • Les pays scandinaves ont développé des solutions équilibrées, permettant la recherche de la vérité biologique tout en protégeant les situations familiales établies
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L’influence du droit européen et international constitue un facteur déterminant d’évolution. La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), dans son article 7, consacre le droit de l’enfant à connaître ses parents dans la mesure du possible. La Cour européenne des droits de l’homme a développé une jurisprudence substantielle sur ce fondement, exerçant une pression constante sur les législations nationales pour faciliter l’accès aux origines.

Les avancées technologiques en matière de tests génétiques modifient profondément la donne. La démocratisation des tests ADN à visée généalogique, bien qu’interdits en France sans autorisation judiciaire (article 16-10 du Code civil), permet désormais à de nombreuses personnes de découvrir tardivement des discordances dans leur filiation légale. Cette réalité technique, couplée à l’accessibilité transfrontalière de ces tests, pourrait conduire à une augmentation significative des contestations tardives dans les prochaines décennies.

Face à ces évolutions, plusieurs pistes de réforme sont envisageables :

Une première approche consisterait à assouplir davantage les conditions de l’expertise génétique posthume, tout en maintenant des garde-fous procéduraux solides. Le Conseil consultatif national d’éthique (CCNE) a suggéré dans plusieurs avis la possibilité d’instaurer un régime de consentement présumé pour ces expertises, sauf opposition explicite formulée de son vivant par le défunt.

Une seconde orientation possible serait de dissocier plus nettement les aspects identitaires et patrimoniaux de la filiation. Certains systèmes juridiques étrangers, notamment au Canada et dans les pays nordiques, permettent l’établissement d’une filiation à des fins purement identitaires, sans conséquences successorales lorsque la demande intervient tardivement. Cette approche pragmatique pourrait inspirer le législateur français.

Une troisième voie consisterait à renforcer les mécanismes d’indemnisation pour les enfants dont la filiation biologique est établie tardivement, sans nécessairement bouleverser les situations successorales définitivement établies. Cette solution, inspirée du droit de la responsabilité civile, permettrait de concilier le droit à l’identité avec la sécurité juridique des transactions.

L’impact des nouvelles technologies génétiques

L’évolution rapide des technologies de séquençage génétique et la constitution de vastes bases de données génétiques privées soulèvent des questions inédites. La possibilité d’établir des liens biologiques par recoupement indirect, sans nécessiter l’exhumation ou le prélèvement direct sur le défunt, bouleverse les paramètres traditionnels du débat sur l’expertise post-mortem.

Dans ce contexte mouvant, le législateur français sera probablement amené à repenser l’équilibre entre protection de la vie privée génétique et droit à l’identité. La prochaine révision des lois de bioéthique pourrait constituer une occasion de clarifier ces questions cruciales, en intégrant les avancées scientifiques tout en préservant les valeurs fondamentales qui sous-tendent notre conception de la filiation.

L’harmonisation nécessaire entre droits fondamentaux et réalités familiales

La contestation tardive de filiations établies post-mortem illustre avec acuité la tension permanente entre différents droits fondamentaux et les réalités complexes des situations familiales contemporaines. Cette problématique appelle une réflexion approfondie sur les moyens d’harmoniser ces impératifs parfois contradictoires.

Le droit à l’identité, composante essentielle du droit au respect de la vie privée consacré par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, constitue le fondement principal des actions en contestation tardive. La Cour européenne a souligné à maintes reprises l’importance pour tout individu de pouvoir établir les détails de son identité d’être humain, y compris sa filiation biologique. Dans l’arrêt Mikulić c. Croatie du 7 février 2002, elle a affirmé que « le respect de la vie privée exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain et que le droit d’un individu à de telles informations est essentiel du fait de leurs incidences sur la formation de la personnalité ».

Face à ce droit fondamental se dresse le principe de sécurité juridique, valeur constitutionnelle reconnue par le Conseil constitutionnel français dans sa décision du 16 décembre 1999. Ce principe, qui vise à protéger les situations juridiquement établies contre les remises en cause intempestives, trouve une application particulière en matière familiale et successorale où la stabilité des liens revêt une importance sociale considérable.

L’intérêt supérieur de l’enfant, principe directeur consacré par l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant, constitue un troisième pôle de cette équation complexe. Cet intérêt peut parfois commander la reconnaissance de la vérité biologique, mais il peut également militer pour le maintien d’une filiation socialement établie, même en l’absence de lien génétique.

La jurisprudence française récente témoigne d’une recherche constante d’équilibre entre ces différents impératifs. Dans un arrêt remarqué du 13 novembre 2019, la Cour de cassation a considéré que « si l’expertise biologique est de droit en matière de filiation, le juge peut rejeter une demande d’expertise s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder, notamment lorsque l’action apparaît abusive ou dilatoire ». Cette formulation nuancée ouvre la voie à une appréciation contextuelle et proportionnée des demandes de contestation tardive.

La notion de vie familiale effective, développée par la jurisprudence européenne, offre une grille de lecture pertinente pour aborder ces situations complexes. Dans l’arrêt Schneider c. Allemagne du 15 septembre 2011, la Cour européenne a précisé que l’existence d’une vie familiale ne dépend pas uniquement des liens biologiques mais s’apprécie au regard d’un faisceau d’indices incluant la qualité et la durée des relations personnelles.

Cette approche pragmatique trouve un écho dans la jurisprudence française récente. Dans un arrêt du 6 juillet 2022, la première chambre civile de la Cour de cassation a refusé d’ordonner une expertise génétique posthume dans une affaire où le demandeur avait attendu plus de quarante ans après le décès du père prétendu pour agir, sans jamais avoir entretenu de relation avec lui de son vivant. Les juges ont estimé que cette demande, motivée exclusivement par des considérations patrimoniales, ne relevait pas véritablement de la protection du droit à l’identité.

La prise en compte des réalités familiales contemporaines exige une approche différenciée selon les contextes :

  • Dans les situations où l’enfant a été privé de la connaissance de ses origines par des circonstances indépendantes de sa volonté (secret de famille, abandon), une grande souplesse semble légitime
  • Lorsque la contestation tardive intervient dans un contexte de pure stratégie patrimoniale, sans dimension identitaire véritable, une approche plus restrictive peut se justifier
  • Dans les cas impliquant des techniques d’assistance médicale à la procréation, la prise en compte de l’intention parentale initiale revêt une importance particulière

La notion de proportionnalité, centrale dans la jurisprudence européenne, offre un outil conceptuel précieux pour cette harmonisation. Elle invite à mettre en balance les différents droits et intérêts en présence, non pas de manière abstraite, mais dans le contexte spécifique de chaque situation familiale.

Le droit comparé révèle des pistes intéressantes pour cette harmonisation. Le système québécois, par exemple, a développé une approche nuancée qui distingue la « filiation par le sang » et la « filiation d’origine », permettant ainsi une reconnaissance de la vérité biologique sans nécessairement remettre en cause les liens familiaux établis et vécus.

L’évolution du droit français pourrait s’orienter vers une plus grande flexibilité procédurale, permettant aux juges d’adapter leurs décisions aux spécificités de chaque situation familiale. Une telle approche nécessiterait probablement un renforcement des pouvoirs d’appréciation du juge aux affaires familiales, couplé à des garanties procédurales solides pour éviter l’arbitraire.

La médiation familiale pourrait également jouer un rôle accru dans la résolution de ces conflits complexes. Au-delà des aspects juridiques, les contestations tardives de filiation post-mortem révèlent souvent des blessures identitaires et des dynamiques familiales troublées que le processus judiciaire peine à appréhender dans toute leur complexité.

En définitive, l’harmonisation entre droits fondamentaux et réalités familiales dans le contexte des contestations tardives de filiation post-mortem appelle une approche à la fois principielle et pragmatique. Elle invite à dépasser les oppositions binaires entre vérité biologique et sécurité juridique pour élaborer des solutions nuancées, respectueuses des droits fondamentaux tout en prenant en compte la complexité des histoires familiales et la diversité des motivations sous-jacentes à ces actions.

Cette harmonisation constitue sans doute l’un des défis majeurs du droit contemporain de la famille, à l’heure où les avancées biotechnologiques et l’évolution des structures familiales bouleversent les repères traditionnels de la filiation. Elle requiert une vigilance constante du législateur et une jurisprudence attentive aux enjeux humains qui se cachent derrière les questions juridiques.