La pertinence des programmes de mise en conformité pénale

Introduction et cadre réglementaire

Dans la République de Platon, Glaucon et Socrate discutent du concept de justice, et l’un d’eux évoque l’histoire de la bague de Giges. Il est dit que Giges, roi de Lydie, possède une bague magique. Un anneau qui, dans sa rotation, donne l’invisibilité au sujet qui le porte, pouvant tuer, voler ou violer.

Et il en vient à la conviction que si l’un était donné à un homme juste, et l’autre à un homme injuste, les deux agiraient frauduleusement, car le seul fondement de la bonne conduite est la peur du châtiment et des représailles. En tant que telles, elles constituent des causes permanentes de prévention avec lesquelles la connaissance philosophique traite généralement de l’obscurité et de l’arcane de son langage.

Jusqu’à une époque proche, la subtilité et la spécialisation la plus rigoureuse régnaient dans le domaine de la philosophie, la résumant comme un savoir inutile, et le réservant à un usage privé. Mais aujourd’hui, cette attitude à l’égard de la philosophie est impossible, surtout pour une personne d’une quelconque spécialité dans l’exercice résolu de ses fonctions. Il s’ensuit que la philosophie présente une valeur incalculable en tant qu’outil pratique pour comprendre, dans ce cas, les fondements de la responsabilité pénale de la personne morale.

L’histoire du Giges Ring nous rappelle que le sentiment d’impunité que procure le manteau de couverture juridique offert par les structures corporatives peut conduire à des déviations criminologiques des comportements individuels en leur sein. En ce sens, la responsabilité pénale de la personne morale est l’agent neutralisant du réseau Giges.

En vertu de cette prémisse, bien qu’historiquement combattue, la nécessité crée la vertu et l’article 31 bis est introduit avec la réforme mise en œuvre par la LO 5/2010, du Code pénal. Sous l’idée que les organisations eo ipso génèrent des facteurs criminologiques qui augmentent le risque d’activités criminelles et, pour les plus inri, la difficulté d’individualiser les individus responsables.

Le libellé de l’article 31 bis dispose que les personnes morales sont pénalement responsables, de manière exemplaire, des infractions commises en leur nom ou pour leur compte par ceux qui y sont autorisés, ou par ceux qui, soumis à l’autorité de ce qui précède, ont gravement violé les devoirs de surveillance, de vigilance et de contrôle des activités.

Par la suite, le Code criminel établit les causes d’exonération de responsabilité pénale avec l’exigence inexcusable du respect de certaines conditions, dont une en particulier :
1. L’organe administratif a effectivement adopté et mis en œuvre, avant la commission de l’infraction, des modèles d’organisation et de gestion qui comprennent des mesures de surveillance et de contrôle visant à prévenir les infractions de même nature ou à réduire sensiblement le risque qu’elles soient commises.
(…)
4. Si l’infraction est commise par les personnes visées au paragraphe 1, point b), la personne morale est exonérée de toute responsabilité si, avant la commission de l’infraction, elle a effectivement adopté et mis en œuvre un modèle d’organisation et de gestion adéquat pour prévenir les infractions de la nature de l’infraction commise ou pour réduire sensiblement le risque de sa commission.

D’un point de vue purement commercial, il y a de nombreuses raisons de convaincre un manager de la nécessité de mettre en place un modèle de conformité dans son entreprise. Entre autres effets, la réduction de la vulnérabilité de l’entreprise découlant de la précarité progressive des cercles de confiance, une plus grande efficacité opérationnelle découlant de l’amélioration des processus et d’un moindre dévouement à la réparation des manquements, une répartition des responsabilités conforme au critère de proximité du risque, la satisfaction des exigences des fonds des investisseurs et des actionnaires et, au-delà, la création de stratégies de défense basées sur des preuves pré-constituées et avec un timbre temporel.

En ce sens, la Cour suprême a déclaré dans l’une de ses rares déclarations sur la question à ce jour, soulignant que ces programmes non seulement empêchent la communication de la responsabilité pénale, mais contribuent également à une bonne pratique de l’entreprise et à une culture du respect de la légalité :

S’il y avait eu un programme de conformité réglementaire adéquat, des cas comme celui-ci auraient été plus difficiles, puisque dans la majorité des cas la connaissance d’activités, telles que celles déclarées ici prouvées d’appropriation de fonds et d’abus de gestion, ne se serait pas produite, et il n’aurait pas été nécessaire d’attendre l’intervention du fisc pour détecter la fraude fiscale qui existait avec le charbon importé… » (Cour suprême, deuxième chambre criminelle, phrase 136/2018 du 28 juin. 2018, Rec. 2036/2017).

 

Controverse quant au fond et à la procédure concernant la charge de la preuve

Néanmoins, et sans porter atteinte à ces acquis, dans le domaine procédural ou technico-juridique, la responsabilité pénale de la personne morale présente une série de difficultés qui ont créé des rivières d’encre, et sont loin d’être une question pacifique du fait de leur désaccord avec la dogmatique criminelle.

A titre d’illustration, la notion d’action requise par la théorie pénale appliquée à la personne morale est inconcevable. Il est inconcevable que la personne morale ait la capacité d’agir, en outre, avec une volonté frauduleuse, à moins de vouloir appliquer la maxime d’Einstein, quand elle souligne qu’en temps de crise, l’imagination est plus importante que la connaissance.

Après tout, les personnes morales sont des sujets de droit puisque l’ordre juridique leur attribue ce statut et, de la même manière, le législateur peut et leur a conféré une responsabilité pénale, les obligeant à adapter la dogmatique naturaliste aux nouveaux défis qui transcendent la notion de personne physique.

En effet, et comme prévu précédemment, cette fiction est typique d’une société post-industrialisée mais pleinement globalisée, dotée d’une perte de références axiologiques objectives, qui a donné naissance à ce que SILVA SÁNCHEZ a appelé le vertige du relativisme, ou la prévalence du pragmatisme de cas et la recherche de solutions basées sur l’artificialité ; une sorte de formules d’imputation synthétique, qui constituent un grand germe de doutes quant à leur adaptation à l’appareil dogmatique, et qui s’est traduite en termes d’incertitude juridique lorsqu’il s’agit de déterminer la charge de la preuve.

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cet égard, le Bureau du Procureur général se prononce dans sa Circulaire du Bureau du Procureur général 1/2016, sur la responsabilité pénale des personnes morales en vertu de la réforme du Code pénal effectuée par la loi organique 1/2016, qui devrait théoriquement avoir des effets interprétatifs, indiquant en premier lieu que les titres d’imputation, bien que toujours importants, sont essentiels en la matière pour déterminer le régime probatoire.

En ce sens, elle précise que si la responsabilité de l’entreprise est individualisée de manière autonome et que, par conséquent, la base de l’injustice réside dans son organisation défectueuse, l’accréditation d’une organisation correcte ferait disparaître l’élément du type, et que par conséquent  » il ne s’agirait pas clairement d’une circonstance exceptionnelle qui ferait référence à une conduite légale ou qui ne serait pas personnellement imputable « .

Dans ce cas, logiquement, c’est le plaignant – qu’il soit public ou privé – qui devrait être chargé de prouver que la personne morale ne dispose pas d’un système adéquat et efficace de prévention du crime.

Or, et à mon avis à juste titre, le Parquet général en vient à cautionner le fruit encore controversé d’un débat doctrinal intense qui détermine que, selon la littéralité de la teneur de l’article 31 bis du Code pénal dans ses réformes successives, la responsabilité pénale de la personne morale repose sur un fait étranger, c’est-à-dire d’une personne physique dotée de pouvoirs de représentation, décision et contrôle, transférant la responsabilité pénale à la société.

Il présente deux arguments juridiques et un argument matériel :

« Cela signifie que le crime de la personne physique donne également lieu au crime de la personne morale qui, toutefois, sera exempte de sanction s’il est prouvé qu’elle avait un modèle d’organisation et de gestion adéquat », étant classé comme une exemption de responsabilité pénale ou une excuse absolue d’exclusion personnelle de la punissabilité dont les preuves sont situées sur le toit de l’entreprise.

Fait également écho à la doctrine émanant de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour constitutionnelle (SSTEDH du 8 février 1996, Murray c. Royaume-Uni ; du 1er mars 2007, Geerings c. Pays-Bas ; du 23 septembre 2008, Grayson et Barnahm c. Royaume-Uni ; SSTC n° 137/98 du 7 juillet et 202/2000 du 24 juillet ; SSTS n°.1504/2003 du 25 février, 578/2012 du 26 juin et 487/2014 du 9 juin, entre autres) concernant la présomption d’innocence en soulignant que, selon l’architecture du modèle établi, la commission d’un crime au sein de l’entreprise n’est qu’une indication de l’inefficacité du plan de conformité établi, et que l’entreprise devrait en tout cas avoir la possibilité de faire exclure le caractère incriminant de cette indication au moyen des excuses correspondantes.

 

Troisièmement, elle construit son discours argumenté sur une base matérielle : c’est l’entreprise elle-même qui est censée disposer des ressources nécessaires pour prouver l’efficacité de ses programmes mis en œuvre, et qui, au contraire, établir le fardeau de prouver son inefficacité à la partie accusatrice en dehors de la structure est un remède qui conduirait sans équivoque à l’absurdité.

Une fois qu’il a été pacifiquement établi qu’il s’agit d’une construction dogmatique en tant que système transmissif par procuration ou « automatique », il est proverbial de dire que l’existence de la convenance est configurée de manière substantife-professionnelle comme une excuse absolue.

La jurisprudence des plus hautes instances ne semble cependant pas renforcer ni même approuver la doctrine du ministère public et, au-delà, la tradition séculaire qui veut que la preuve de l’existence d’excuses absolues (ainsi que les excuses ou circonstances atténuantes) corresponde à la partie concernée (c’est-à-dire la défense, et non l’accusation). Au contraire, il ne considère pas les programmes de conformité criminelle comme une excuse absolue.

Ainsi, la première phrase qui le soulignait était la sentence de la Cour suprême, Chambre criminelle, du 29 février 2016, qui a émis une résolution sur le trafic de drogue qui, inexplicablement, impose au demandeur la charge de prouver que les plans de prévention de l’entreprise étaient inidonéos (une situation, si je puis répéter, complexe pour être étrangère aux  » tripes  » de l’entreprise concernée) : « Et s’il est vrai que, dans la pratique, c’est la personne morale elle-même qui appuiera sa défense dans l’accréditation de l’existence réelle de modèles de prévention adéquats, révélant la  » culture de conformité  » que le droit pénal poursuit, ce qui ne peut être soutenu, c’est que cette action pèse comme une obligation inévitable sur celle qui est soumise à la procédure pénale, car cela signifierait que, dans le cas de la personne morale, les principes fondamentaux de notre système de poursuites pénales, tels que l’exclusion de la responsabilité objective ou automatique ou de l’irresponsabilité pour le fait d’autrui, ne s’appliquent pas ».

Toutefois, on peut dire qu’il y a eu une opinion dissidente soutenue par 7 juges de la Cour suprême, en ce sens que la charge de la preuve de l’inexistence d’acquittements ne peut être imposée à l’accusation, accordant un traitement privilégié et exceptionnel à l’entreprise : « Nous considérons qu’il n’est pas approprié de constituer des personnes morales dans un modèle privilégié d’exception en matière de preuve, imposant à l’accusation l’accréditation de faits négatifs (l’absence d’instruments adéquats et efficaces pour la prévention du crime), mais qu’il appartient à la personne morale de plaider son accord, et de fournir une base rationnelle pour que l’utilisation de ces instruments puisse être contrôlée  » (STC 154/2016, 29 février). Ainsi, nous nous trouvons actuellement dans un chaos de critères d’interprétation contradictoires entre le Bureau du Procureur et la Cour suprême et, en retour, entre les composantes de cette dernière.

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Dans l’attente d’une résolution judiciaire pour l’analyse exhaustive de la portée matérielle ex ante des programmes de Compliance, la dernière phrase qui a été prononcée sur la question controversée et rocambolesque de la charge de la preuve a été le jugement du 7 mai 2018 de la Cour provinciale de Saragosse (Rec. 9/2018), dans le cadre d’un des scénarios habituels de fraude des lettres vides qui sont présentées à escompte sans répondre aux opérations commerciales réelles. La personne morale est acquittée sous l’autorité expresse de la Cour suprême et sur la base du fait qu’il n’existe aucune preuve d’insuffisance structurelle de la part des accusations ;

L’existence de telles mesures (qui n’a pas été prouvée en l’espèce) exclurait la responsabilité pénale des personnes morales. De la même manière, il convient toutefois d’exclure ces personnes morales de la responsabilité pénale lorsqu’il n’existe aucune preuve (en raison du manque de preuves dans les accusations) de l’existence ou de l’inexistence de tels contrôles. La vérité est que les accusations n’ont pas tenté de prouver l’absence de mécanismes de contrôle, malgré le fait que la charge de la preuve repose sur les accusations (selon la position majoritaire de la Chambre II de la Cour suprême), ce qui conduit à l’acquittement déjà annoncé.

Tout cela implique, d’autre part, que la responsabilité pénale de la personne morale soit analysée indépendamment des actes du sujet actif du crime, ce qui élimine la notion de « transfert » avec automaticité de la responsabilité » (SAP Zaragoza 116/2018).

Notre avis est que, bien que l’interprétation de l’article 31 bis par la Cour suprême puisse être discutable (puisqu’il est fondé sur l’évasion d’un régime de responsabilité objective, puisqu’il est pacifique qu’il repose sur un fait propre aux autres et non à la société), il leur applique le régime de l’élément typique de l’injustice et modifie les règles du fardeau de la preuve, les renversant en faveur de l’accusé et au détriment du grief.

Par ailleurs, et sans chercher à assimiler en termes abstraits des concepts tels que l’inversion de la charge de la preuve et la preuve diabolique, il est inexcusable de considérer le grand germe des doutes entourant les questions relatives au droit à une protection judiciaire effective de l’article 24 de la Constitution, en imposant des charges de preuve qui suscitent une incertitude et une perplexité évidentes.

Le jugement du Tribunal provincial des Îles Baléares, section 5, du 4 mai 2006 (Rec. 151/2006) se prononce en ce sens en indiquant que la disponibilité et la facilité de preuve correspondant à chacune des parties en litige doivent être prises en compte à tout moment de la procédure pénale. Cela permet d’éviter la soi-disant probatio diabolique, au sujet de laquelle la Cour constitutionnelle a également déclaré : « ….en bref, en faisant supporter au travailleur les conséquences de l’absence de preuve en question (…) alors que, en outre, il n’avait aucune possibilité de la preuve qui lui était demandée, lui imposant sans aucun motif une preuve diabolique sous couvert d’une possibilité raisonnable d’obtenir » (STC 292/2006, 10 octobre 2006).

En conclusion, dans le cadre de débats dogmatiques sur le système qui préside à la responsabilité pénale de la personne morale, les doutes interprétatifs de cette nature doivent être interprétés conformément à ces principes, et de manière téléologique afin d’éviter la sensation d’impunité que la norme poursuivie initialement, d’éviter le tournant du cercle Giges, de faciliter sa persécution toujours dans le cadre de la légalité ou dans le vocabulaire même du Tribunal suprême : « toute condamnation de personnes morales doit être fondée sur les principes inaliénables du droit pénal » (STS 514/2015).

Conclusion

Ainsi les choses, les lignes précédentes, avec un caractère constructif et édifiant, ont essayé de délimiter, grosso modo, l’état des choses en la matière. Le statu quo, bien que la position de la Cour suprême à cet égard soit notoire, qui est présidée par un certain degré d’immaturité et donc d’insécurité juridique et de sensibilité à la transformation.

Il n’est pas audacieux d’affirmer que d’ici peu, à partir des décisions judiciaires qui seront rendues dans l’avenir, la question de la pertinence des programmes de conformité réglementaire sera intégrée dans les litiges dans le cadre de la criminalité économique et commerciale, et la seule chose que l’on puisse faire, pour le moment, est d’attendre. Attendre, mais sans oublier les inconnues procédurales qui restent à résoudre, et qui soulèvent des problèmes tels que la question de la charge de la preuve, qui a fait l’objet d’un traitement superficiel dans cette étude.

Ce n’est pas découvrir la Méditerranée que de rappeler que la responsabilité pénale de la personne morale est une fiction qui ne signifie rien de nouveau sous le soleil. Il obéit plutôt à la logique de créer de nouveaux principes d’imputation juridico-pénaux très éloignés des principes traditionnels.

Cela a permis l’élaboration d’institutions dogmatiques, préparées par la simple théorie criminelle, pour arriver à des remèdes qui échappent au droit pénal commun ou traditionnel, qui ont forcé la flexibilité des principes politico-criminels de garantie et des règles d’imputation en utilisant (ou abusant) des concepts normatifs.

Mon humble contribution à ce débat ontogénétique vise à rappeler l’exigence de marier l’introduction de la responsabilité criminelle de la personne morale dans notre système juridique avec la considération des principes constitutionnels les plus élémentaires, en l’occurrence en matière de litige procédural.

Sinon, nous tomberions devant un scénario de perversité de l’appareil d’État qui cherche des solutions faciles aux problèmes internes des entreprises, sans clarté ou clarté dans le domaine de la preuve. Un métaphysicien impossible qu’Anthony Burgess appelait l’orange mécanique.

Les oranges mécaniques n’existent pas. C’est une notion étrange, et elle s’applique toujours à des choses étranges.

Ainsi, le fardeau de la preuve de la pertinence des programmes de conformité ne devrait pas devenir une formule mécanisée, synthétique ou inadaptée lorsqu’elle est appliquée à un organisme vivant qui rebondit avec du jus et de la fluidité comme la dogmatique criminelle.