
En tant qu’avocat d’affaires exerçant à Genève, il est fréquent d’être confronté à des questions concernant les contrats de stage en Suisse. Ce sujet, qui peut sembler simple de prime abord, recèle en réalité de nombreuses subtilités juridiques qu’il est important de bien comprendre. Cet article explore en détail la législation entourant les contrats de stage en Suisse, avec un accent particulier sur la question épineuse de la rémunération.
Le contrat de stage : une zone grise du droit suisse
Il est essentiel de noter que le contrat de stage n’est pas expressément réglementé par le Code des obligations suisse. Cette absence de cadre légal spécifique crée une zone grise juridique, pouvant entraîner des confusions tant pour les employeurs que pour les stagiaires.
En l’absence de dispositions spécifiques, le contrat de stage tend à être assimilé à un contrat de travail. Or, l’un des éléments essentiels du contrat de travail est la rémunération de la prestation fournie par le travailleur. Cela soulève donc une question importante : un stage doit-il nécessairement être rémunéré ?
La position du Tribunal fédéral sur la rémunération des stages
Un arrêt récent du Tribunal fédéral (TF 4A_150/2023 du 30 novembre 2023) apporte des éclaircissements importants sur cette question. Le Tribunal fédéral affirme qu’il est possible d’avoir un contrat de stage non rémunéré, sous certaines conditions.
Le Tribunal explique que la distinction entre un contrat de stage non rémunéré et un contrat de stage soumis aux règles du contrat de travail (et donc rémunéré) dépend des circonstances spécifiques de chaque cas. La liberté des parties de convenir de la gratuité de la prestation du stagiaire est encadrée par l’article 320 alinéa 2 du Code des obligations.
Les critères déterminants pour la qualification du stage
Selon le Tribunal fédéral, un stage échappe au droit du travail lorsqu’il est effectué dans l’intérêt prépondérant du stagiaire, dans le but d’acquérir une expérience pratique. Tant qu’une justification objective à l’existence du stage et à son absence de rémunération est démontrée, ce dernier peut être admis, même si sa durée atteint un an, voire plus, selon les circonstances.
En revanche, lorsque l’employeur a un intérêt objectif à la prestation fournie par le stagiaire, l’article 320 alinéa 2 du Code des obligations s’applique : le stage est alors considéré comme un contrat de travail et donne droit à un salaire.
Analyse d’un cas concret
Pour illustrer ces principes, le cas jugé par le Tribunal fédéral dans l’arrêt mentionné peut être examiné. Il concernait une « stagiaire » ayant suivi des études supérieures en sciences économiques avec une spécialisation en marketing à l’université de Bucarest. Elle avait obtenu un titre équivalent à un bachelor universitaire suisse et avait réussi l’examen d’admission au stage pour devenir expert-comptable/comptable agréé en Roumanie. En Suisse, elle avait suivi des cours de comptabilité.
Son curriculum vitae mentionnait des expériences professionnelles en tant qu’aide-comptable et cheffe-comptable en Roumanie, ainsi qu’une activité de comptable en Suisse pour l’entreprise de son mari.
La « stagiaire » avait été engagée le 3 janvier 2017, mais la qualification de son contrat était contestée. L’employeur estimait l’avoir engagée en tant que stagiaire, tandis que la « stagiaire » prétendait avoir conclu un contrat de travail. Les relations contractuelles ont pris fin par la démission avec effet immédiat de la « stagiaire » le 21 février 2018.
La décision du Tribunal fédéral
Le Tribunal fédéral a confirmé la décision de l’autorité cantonale, qui avait conclu que le stage réalisé par la « stagiaire » apportait une réelle plus-value à son parcours professionnel. Il lui avait permis de développer ses connaissances et d’améliorer ses chances d’être engagée ultérieurement. Ce contrat lui avait également permis de se familiariser avec les pratiques comptables suisses, puisqu’elle n’avait que peu d’expérience pratique en Suisse hormis un emploi dans l’entreprise de son mari.
Le Tribunal fédéral a donc jugé que la « stagiaire » avait un intérêt prépondérant à l’exécution du contrat et avait accepté un stage non rémunéré pour acquérir une expérience pratique en Suisse. Par conséquent, le Tribunal fédéral a estimé que la cour cantonale n’avait pas violé l’article 320 alinéa 2 du Code des obligations en qualifiant le contrat de stage, qui n’était donc pas tenu d’être rémunéré.
Principes à retenir pour la rémunération des stages
À la lumière de cette jurisprudence, plusieurs principes peuvent être dégagés en matière de rémunération des stages en Suisse :
- Si le contrat de stage est conclu dans l’intérêt prépondérant du stagiaire afin qu’il acquière une expertise professionnelle, il peut en principe être non rémunéré.
- Si le stage est principalement dans l’intérêt de l’employeur, il doit en principe être rémunéré et sera soumis aux règles du contrat de travail.
- Chaque cas doit être examiné individuellement, en tenant compte de l’ensemble des circonstances.
Exceptions et règles particulières
Il existe cependant des exceptions et des règles spécifiques dans certains secteurs. Par exemple :
- Dans l’hôtellerie et la restauration, la Convention collective nationale de travail (CCNT) pour les hôtels, restaurants et cafés prévoit un salaire minimum pour les stages effectués dans le cadre des cours des écoles hôtelières.
- Dans le canton de Vaud, le domaine de l’accueil de la petite enfance est soumis à des règles spécifiques. Un contrat-type est prévu par l’Arrêté du Conseil d’État du canton de Vaud du 24 mai 2023, avec un salaire minimum pour les stagiaires.
Recommandations pour les employeurs
Les employeurs doivent faire preuve de prudence lorsqu’ils envisagent d’engager des stagiaires non rémunérés, en particulier si le stage dure plusieurs mois. Voici quelques recommandations :
- Évaluer attentivement l’intérêt prépondérant du stage : est-il principalement dans l’intérêt du stagiaire ou de l’entreprise ?
- Documenter clairement les objectifs d’apprentissage et de développement professionnel du stage.
- S’assurer que le stagiaire bénéficie d’un encadrement et d’une formation adéquats.
- Éviter de confier au stagiaire des tâches qui relèveraient normalement d’un employé rémunéré.
- Limiter la durée du stage non rémunéré à une période raisonnable.
- Consulter un avocat spécialisé en droit du travail pour garantir la conformité du contrat de stage avec la législation en vigueur.
Conclusion
La question de la rémunération des stages en Suisse est complexe et dépend largement des circonstances spécifiques de chaque cas. Bien que la loi autorise des stages non rémunérés sous certaines conditions, il est crucial pour les employeurs d’évaluer soigneusement la nature et l’objectif du stage avant de prendre une décision sur sa rémunération.
En cas de doute, il est toujours recommandé de consulter un avocat spécialisé en droit du travail. Le cabinet WG Avocats se tient à disposition pour conseiller sur ces questions et aider à naviguer dans les subtilités de la législation suisse relative aux contrats de stage.
Un stage bien structuré et équitable, qu’il soit rémunéré ou non, peut être bénéfique tant pour le stagiaire que pour l’employeur. Toutefois, il est essentiel de veiller à ce que ces arrangements respectent les principes légaux et éthiques du droit du travail suisse.